Alors que tout le monde se souhaite le meilleur en ce début d’année, j’ai repensé à ce texte de Jean Debruynne : « Je te souhaite de ne pas réussir ta vie ». Ces mots sonnent comme une provocation à l’heure où la réussite trône en bonne place des vœux que nous échangeons. Je le partage comme une invitation à se questionner : que signifie réussir pour nous ? Et si en cherchant à tout prix la réussite nous passions a côté de l’essentiel ?

« Je te souhaite de ne pas réussir ta vie.

Je te souhaite de vivre autrement que les gens arrivés.

Je te souhaite de vivre la tête en bas et le cœur en l’air, les pieds dans tes rêves et les yeux pour l’entendre.

Je te souhaite de vivre sans te laisser acheter par l’argent.

Je te souhaite de vivre debout et habité.

Je te souhaite de vivre le souffle du feu, brûlé vif de tendresse.

Je te souhaite de vivre sans titre, sans étiquette, sans distinction, ne portant d’autre nom que l’humain.

Je te souhaite de vivre sans que tu aies rendu quelqu’un victime de toi-même.

Je te souhaite de vivre sans suspecter ni condamner, même du bout des lèvres.

Je te souhaite de vivre sans ironie, même contre toi-même.

Je te souhaite de vivre dans un monde sans exclu, sans rejeté, sans méprisé, sans humilié, ni montré du doigt, ni excommunié.

Je te souhaite de vivre dans un monde où chacun aura le droit de devenir ton frère et de se faire ton prochain.

Un monde où personne ne sera rejeté du droit à la parole, du droit d’apprendre à lire et savoir écrire.

Je te souhaite de vivre dans un monde sans croisade, ni chasse aux sorcières.

Je te souhaite de vivre dans un monde libre d’aller et venir, d’entrer et de sortir, libre de parler librement dans toutes les églises, dans tous les partis, dans tous les journaux, à toutes les radios, à toutes les télévisions, à toutes les tribunes, à tous les congrès, à toutes les assemblées, dans toutes les usines, dans tous les bureaux, dans toutes les administrations.

Je te souhaite de parler non pour être écouté mais pour être compris.

Je te souhaite de vivre l’inespéré, c’est dire que je te souhaite de ne pas réussir ta vie. »

Jean Debruynne

« Je te souhaite de vivre »

C’est un profond sentiment de liberté que je ressens à la lecture de ce texte. « Réussir sa vie » : combien de fois entendons-nous cette injonction ? Comme s’il s’agissait de répondre à une exigence, de se conformer à une norme établie ou encore de tirer une satisfaction à se hisser au dessus des autres.

L’invitation à « vivre sans titre, sans étiquette, sans distinction, ne portant d’autre nom que l’humain » m’amène à penser une autre forme de réussite, sur-mesure celle-ci, ajustée à ma vie, portée par l’élan qui m’habite.

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La réussite suppose un point d’arrivée. Or, la vie n’est que mouvement. Un sommet en succède à un autre. Un paysage nouveau se dessine à chaque fois. Des rencontres se présentent et m’amènent à emprunter de nouveaux chemins. « Vivre autrement que les gens arrivés » évoque pour moi une disposition à se laisser surprendre et à apprendre de chaque expérience.

Vivre ou réussir, faut-il choisir ?

J’entends le « Je te souhaite de ne pas réussir ta vie » comme un encouragement à me décentrer. A passer d’un objectif de réussite étriquée à celui de grandir en humanité. Vivre, tout simplement vivre ! S’attacher à l’essentiel : une main tendue, un sourire à offrir, un monde plus juste à construire.  Oser me laisser brûler par le feu qui m’habite… et réussir pleinement à vivre !

« Vivre l’inespéré » implique sans doute de m’autoriser à lâcher des objectifs prêt-à-porter. De mettre de côté l’injonction de réussir à tout prix et d’accueillir chaque expérience comme une chance. Laisser émerger l’inespéré et, peut-être, me laisser surprendre par ce que je n’aurais pas pensé pouvoir réaliser.

Le trésor de ma vie n’est finalement pas au bout d’un parcours tout tracé mais au détour de mes chemins embroussaillés. C’est peut-être en croyant me perdre que je peux le trouver.

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Alors pour 2020 je vous souhaite tout simplement de vivre !

De vivre les pieds dans vos rêves et d’oser vivre l’inespéré.

Isabelle Lafond

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